Editorial - November 30, 2020

Guest List : Youssouf Fofana, Co-fondateur de Maison Château Rouge

Guest List est une rubrique d’interviews menées par Herbby, Consultant en Sneakers, Basket-ball et Culture Urbaine pour StockX. Prenez place pour découvrir les talents inspirants d’aujourd’hui et demain!

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“Aujourd’hui, c’est un beau jour pour vivre” : telle est la dynamique de la marque pop et lifestyle Maison Château Rouge, fondée par les frères Youssouf et Mamadou Fofana. Ce message court en dit long sur les valeurs optimistes et fédératrices promues par le label à travers ses collections inspirées d’un héritage africain, ses collaborations et sa boutique située 40 bis rue Myrha dans le 18ème arrondissement de Paris. Depuis sa création en 2015, Maison Château Rouge célèbre la culture africaine dans un esprit contemporain, avec une responsabilité sociale économique.

De l’association “Les Oiseaux Migrateurs” à la dernière collection “Bonjour la vie”, en passant par la collaboration avec Jordan Brand, Youssouf Fofana nous dit tout sur la marque, son histoire, ses projets et sa vision de la vie, un an jour pour jour après la sortie de sa Air Jordan 1 Mid SE Fearless x Maison Château Rouge.

Salut Youssouf. J’espère que tu vas bien. Félicitations pour le lancement de “Bonjour la vie” ! Avant de développer sur cette collection récente, commençons par le commencement : qui es-tu ?

Je m’appelle Youssouf Fofana. J’ai 31 ans. Je suis originaire de Villepinte, dans le 93. En 2014, mon frère Mamadou et moi avons créé l’association “Les Oiseaux Migrateurs” avec pour objectif de participer au développement de TPE et PME africaines. Pour financer ce projet, on a décidé de lancer la marque lifestyle Maison Château Rouge en 2015. MCR célèbre le quartier africain de Paris, Château Rouge, à travers pas mal de choses : des vêtements, des objets, de la déco et des chaussures… avec Jordan ! (rires)

J’aime beaucoup la citation de ta bio Instagram : Demain, le soleil se lèvera et on essaiera encore… Est-ce de toi ? Peux-tu élaborer sur cet état d’esprit ?

C’est une citation du livre Petit Pays de Gaël Faye, qui m’a beaucoup touché et inspiré. Je trouve que cette phrase est vraiment puissante car elle détermine un état d’esprit caractéristique du continent africain et des jeunes de banlieue en France. Peu importe le contexte ou les difficultés rencontrées, on se dit que demain est un nouveau jour donc on recommence, on essaie. En France et aux États-Unis par exemple, on avance malgré le racisme et les discriminations de manière plus générale. En Afrique, l’esclavage et la colonisation ont créé énormément de dégâts sur le continent. Malgré tout ça, on a cet espoir et cette envie de continuer et de ne pas rester fataliste.

Tes parents et toi êtes originaires du Sénégal. Tu es né et as grandi en Seine-Saint-Denis, dans le 93. On retrouve des références africaines et urbaines dans l’ensemble de tes projets. Comment définirais-tu ta relation avec le Sénégal et le continent africain ? Pourquoi est-ce important pour toi de mettre en lumière ton héritage africain et l’univers urbain ?

Depuis qu’on est jeune, nos parents ont toujours fait en sorte qu’on soit très proche de notre culture. On est des Soninkés donc ils nous ont appris la langue et c’était super important pour eux car ça nous a permis de garder ce lien avec nos familles et plus globalement, nos origines. C’est un élément fondamental qui est source d’enracinement car une fois qu’on décide de partir à l’étranger, on peut très vite être déraciné, surtout si on a des enfants qui sont nés à l’étranger et qui n’ont pas de connexion avec leur pays d’origine. C’est hyper fort car aujourd’hui, mon héritage africain fait partie intégrante de moi, d’où son omniprésence dans mes projets. Grâce à cette transmission, je n’ai pas de problème identitaire et j’assume le fait d’être une personnalité hybride : 100% Sénégalais et 100% Français.

À côté de ça, la banlieue et ses codes méritent d’être mis en avant et valorisés. Dans le monde de la mode par exemple, l’univers de la banlieue intéresse mais pas les banlieusards. Étant donné que cet univers nous appartient, c’est à nous de prendre la parole sur ces sujets et de diffuser nos messages. Au final, j’essaie juste de contribuer à tout ça, à mon petit niveau.

Comment est née la marque Maison Château Rouge ? Que représente-t-elle aujourd’hui et quel est son avenir ?

Maison Château Rouge est née en 2015, suite à notre idée de développer un projet autour de l’Afrique, précisément d’aider les petites structures locales à améliorer leurs produits pour pouvoir les exporter par la suite. Pour cela, il fallait montrer aux consommateurs européens qu’ils peuvent consommer des produits africains, sans forcément être originaire d’un pays du continent. Notre idée initiale était de créer comme un “imaginaire”, un African way of life inspiré de l’American way of life, qui est beaucoup plus connu. On a donc décidé de lancer Maison Château Rouge en capitalisant sur le quartier de la Goutte d’Or, dans le 18ème arrondissement de Paris. Notre projet était d’inscrire en gros “Château Rouge” sur 100 hauts, les mettre en vente sur internet et se concentrer sur l’association une fois les avoir écoulés. Le tout, avec des tissus achetés chez les commerçants du quartier et une production à Paris.

Campagne “Bienvenue à Château Rouge” (2015) via @maisonchateaurouge sur Facebook

Résultat des courses : le stock est parti hyper vite, on a notamment été contacté par le concept-store parisien Merci avec qui on a fait une première opé pour la Fashion Week de Paris, en février 2016. Ensuite, on a été approché par Le Bon Marché qui nous a intégré dans sa grande exposition fin 2016. À partir de là, tout a pris ! On s’est retrouvé à être commercialisé dans une vingtaine de concept-stores premium au Japon, en Corée du Sud, aux États-Unis, au Royaume-Uni… C’est comme ça que l’image de la marque s’est créée et qu’elle a pris cette ampleur.

Du coup, on a jamais vu Maison Château Rouge comme une simple marque. Au départ, c’était un moyen de communication et aujourd’hui, c’est un concept lifestyle beaucoup plus ouvert qu’on est en train de définir petit à petit. Les bases du projet sont notre engagement et notre démarche de collaborer avec un maximum d’artisans sur le continent africain. Par exemple, pour notre dernière collection “Bonjour la vie”, on a travaillé avec un teinturier au Mali, un fabriquant de tissu en Côte d’Ivoire, les pièces ont été confectionnées au Sénégal, on développe de la vannerie avec des artisans en Tunisie, des coussins au Congo… À terme, on aimerait que Maison Château Rouge devienne la vitrine de tous les artisans avec qui on aura travaillé afin d’encourager d’autres marques à collaborer avec cette fédération d’artisans et créer un cercle vertueux.

Un city guide du quartier de Château Rouge, quartier de votre boutique située 40 bis rue Myrha dans le 18ème arrondissement de Paris, est magnifiquement présenté sur votre site. Peux-tu nous en dire plus sur ce quartier, cet arrondissement et leur lien avec la marque ?

Il y a quelques années, la rue Myrha était considérée comme une des rues les plus dangereuses de Paris. Aujourd’hui, la dynamique a changé et étant sur place tous les jours, on se rend compte que les infos des médias ne reflètent pas la réalité. Ils parlent uniquement des problèmes de drogue et de prostitution mais il n’y a pas que des choses négatives dans la zone. Notre but est de promouvoir la richesse de ce quartier qui est le plus multiculturel à Paris voire au monde.

Youssouf Fofana dans la campagne de la AJ1 Mid SE Fearless x Maison Château Rouge via @maisonchateaurouge sur Instagram

Il faut savoir aussi que le 18ème est l’arrondissement de Paris avec le plus grand nombre d’associations. La population locale est très engagée, comme en banlieue, et l’univers est très différent des idées reçues sur la capitale : la Tour Eiffel, les petits bars… Paris est un ensemble de zones hétérogènes, le 18ème en fait partie et on tenait à mettre en avant son cosmopolitisme.

Quel est ton Top 3 du quartier : un restaurant, un lieu culturel et un salon de coiffure ?

Laisse-moi réfléchir pour éviter de faire une bavure… (rires) Pour le restaurant, je vais le plus souvent à La Fa’Brick (20 rue Myrha), c’est un restaurant marocain et sur une semaine, j’y vais 3 jours sur 5 ! Ils font des bonnes bricks et il y a une bonne ambiance. Niveau culture, je dirais l’Institut des Cultures d’Islam (56 rue Stephenson et 19 rue Léon). La programmation d’expositions est diverse, l’ambiance est conviviale, le petit restaurant interne est bon et il y a même un salon qui a été fait par le photographe Hassan Hajjaj. Pour le salon de coiffure, Barbès Barber Shop (36 rue de la Charbonnière) a ouvert récemment et c’est plutôt cool.

Le label Maison Château Rouge est notamment connu pour ses collaborations de qualité, avec des entités locales et internationales. Quels sont vos critères de sélection ? Quel serait votre “graal” niveau collaboration ?

On a pas vraiment de critères de sélection, on marche plus à l’instinct. Dès que c’est cohérent avec la marque, qu’on peut développer de nouveaux produits et que le partenaire a un bon positionnement, on y va. Après, bien sûr, on prend en compte le timing et notre disponibilité à la période souhaitée. Concernant le graal, en vrai c’était Jordan ! On ne pensait pas que ça arriverait aussi vite voire que ça arriverait tout court. On en rêvait mais sans vraiment y croire.

La Air Jordan 1 Mid SE Fearless x Maison Château Rouge est sortie il y a un an jour pour jour, le 30 novembre 2019. Elle a connu un succès mondial dès l’annonce de la collection Jordan “The Fearless Ones” et était sold out en quelques minutes. Sur StockX, elle fait partie des best-sellers mensuels en France depuis sa sortie. Comment as-tu vécu cette collaboration avec Jordan Brand ? Que retiens-tu de cette expérience ?

Franchement, ça a été une excellente surprise quand on a été contacté pour travailler sur cette collaboration. On était déjà en contact avec l’équipe Jordan qui nous avait mis à disposition des produits pour un projet au Kenya, on avait réalisé un shooting photo dans la boutique avec Victor Oladipo pendant le Quai 54 et on avait fait un pop-up store à Jordan Bastille. Du coup, il y avait un début de relation entre nous, sans savoir ce que ça entraînerait par la suite.

Quand ils nous ont contacté pour nous annoncer qu’on allait collaborer sur une Jordan 1, je me suis dit que c’était parfait car c’est mon modèle préféré, avec la AJ4. J’aurai jamais pensé pouvoir travailler sur une AJ1 et c’était hyper important pour moi de créer une paire différente en termes de couleurs, de texture… En tant que Parisien, on a une réputation à tenir dans la mode ! En plus de ça, je voulais vraiment expliquer toute ma démarche, tout mon travail et intégrer un maximum de références dans la paire, avec pour objectif d’avoir un produit fini qui parle à tout le monde et pas uniquement à une communauté. Au final, j’ai atteint mon objectif car les gens qui ont acheté la paire ont des profils vraiment diversifiés.

Colorama de la AJ1 Mid SE Fearless x Maison Château Rouge via @maisonchateaurouge sur Instagram

J’étais hyper content de voir aussi que la paire a dépassé la marque Maison Château Rouge pour devenir la paire de tout le monde. Ça m’a particulièrement touché de voir la réceptivité des gens en banlieue qui sont souvent mis de côté et qui, grâce à Jordan et ce projet avec un créateur auquel ils peuvent s’identifier, se sont sentis représentés à grande échelle. C’est une véritable source d’espoir qui fait que les banlieusard(e)s se disent : si lui il l’a fait, on peut le faire.

Quel est ton Top 3 sneakers : pour aller faire les courses, pour une prochaine campagne MCR et pour un départ au bled en “504 break chargé” ?

Ça devient compliqué là… Je porte souvent la Asics Gel-Delva 1 x Kiko Kostadinov jaune et orange pour aller faire les courses, elle est hyper confortable. Pour une prochaine campagne MCR, je dirais une Jordan 4. C’est un de mes modèles préférés, on a utilisé la Off-White “Sail” et la “Classic Green” pour notre dernière campagne et j’aime bien imaginer mes vêtements pour cette paire. Sinon, obligé de mettre une bonne paire de Requin pour un départ au bled en “504 break chargé”. Précisément celle du clip Raï N’B Fever de 113, Magic System et Mohammed Lamine, comme ça on reste dans le thème à 100% !

Maison Château Rouge a récemment sorti sa dernière collection “Bonjour la vie”, inspirée par un classique du rap français : Tonton du Bled de 113 (produit par DJ Mehdi). Peux-tu nous présenter cette ode au voyage, ses inspirations et son contenu ?

Collection “Bonjour la vie” de Maison Château Rouge via @maisonchateaurouge sur Facebook

La collection est sortie au mois d’août, pendant les vacances mais cette année, le contexte était différent car on sortait du confinement. Toute la collection a été créée pendant le confinement, on a voulu apporter de la positivité et faire voyager les gens à travers nos pièces. Du coup, on s’est posé la question par rapport à nos codes et nos références : comment on voyage nous ? On s’est inspiré de notre jeunesse à Villepinte, il y avait une forte communauté marocaine et ils partaient au bled tout le temps avec ce fameux “504 break” rempli de bagages sur le toit. Malheureusement, on ne voyageait pas souvent car le billet d’avion était trop cher mais Tonton du Bled reflète parfaitement nos références de voyage donc c’est un beau clin d’oeil.

Campagne de la collection “Bonjour la vie” de Maison Château Rouge via @maisonchateaurouge sur Instagram

On s’est vraiment pris la tête pour cette collection. Elle a été produite en Afrique à 99% : Côte d’Ivoire pour les tissus, Mali pour le tie and dye, Sénégal pour la confection et la Goutte d’Or pour certains accessoires. Vu qu’on était confiné, tout a été fait par WhatsApp ! Au niveau de la campagne, Gloire et Idriss Yagooz ont géré la direction artistique et la réalisation des photos et vidéos.

Quelle est ta pièce préférée de la collection ? Pourquoi ?

La chemise tie and dye parce que j’aime bien le process. C’est une pièce qui est assez compliquée à concevoir, qui demande beaucoup de technique car elle est composée de trois couleurs différentes. On a eu du mal à trouver des partenaires pour la créer et finalement, un artisan de Bamako qui s’appelle Modibo Samaké a pu la faire à partir des dessins qu’on lui a envoyés. J’aime beaucoup la coupe de la chemise qui rappelle celle des “tontons” ! (rires)

Chemise Abacost Tie and Dye de la collection “Bonjour la vie” de Maison Château Rouge

Maison Château Rouge s’intègre dans le projet social “Les Oiseaux Migrateurs”, qui est une plateforme créée en 2014 afin de participer au développement de TPE et PME africaines de manière collaborative. Quels sont les enjeux de cette initiative ? Comment peut-on rejoindre le mouvement ?

Aujourd’hui, il y a beaucoup de problématiques liés à l’Histoire, l’esclavage, la colonisation, la mondialisation… sur le continent africain. La plupart des entreprises étrangères basées en Afrique exportent uniquement des matières premières, ce qui ne crée pas de valeur ajoutée sur place, pas d’emploi et pas de cercle vertueux. C’est une grosse problématique. Face à cela, il faut donner les moyens aux artisans locaux pour qu’ils puissent transformer leurs matières premières. Sachant que le cours des matières premières dépend de la Bourse donc d’entités extérieures, ce qui n’est pas normal.

Notre objectif est donc de faire en sorte que les locaux puissent profiter de leurs propres matières premières. C’est pourquoi on a décidé de contribuer au développement de TPE et PME africaines en les aidant à transformer leurs matières premières. Mon frère Mamadou a un Master en Gestion  de Projet Qualité, Sécurité et Environnement donc il travaille sur le respect des normes et l’obtention des certifications qui leur permettent d’exporter leurs produits. On est également impliqué dans le Marketing et la Communication. On les aide à créer leur marque et leur univers de marque parce que ces éléments ne sont pas ancrés culturellement. Ils ont l’habitude de concevoir leurs propres produits en fonction de leurs besoins ou ils vont acheter au marché, par exemple. La notion de culture de marque ne leur parle pas forcément alors qu’elle est primordiale pour pouvoir attirer des clients et exporter leurs produits. Étant à Paris et ayant fait nos études ici, on maîtrise ces sujets donc on s’est dit qu’il fallait leur transmettre ce savoir et ces compétences.

Pour rejoindre le mouvement, il suffit de s’inscrire sur notre plateforme en ligne à l’aide d’un questionnaire : https://lesoiseauxmigrateurs.typeform.com/to/pOgyhGuZ. On va consolider toutes les réponses reçues et d’ici quelques mois, on contactera les personnes inscrites pour travailler avec elles sur des projets divers et variés. On va les orienter sur des projets avec des entreprises africaines, en fonction de leur domaine de prédilection.

via Instagram @herbbysince89