Accessories - January 29, 2021

À la Fashion Week de Paris, tailoring rassurant et couleurs d’assurance

Voilà ce qu’il faut retenir de la grand-messe de la mode version Automne/Hiver 2021-22.

Voilà ce qu’il faut retenir de la grand-messe de la mode version Automne/Hiver 2021-22.

Sur le papier, ça ne s’annonçait pas excitant. À la révélation du calendrier de la Fashion Week  Homme Automne/Hiver 2021-22 de Paris, on regrettait les absences de nombre de ses cadres  habituels. Off-White, sacai, COMME des GARÇONS, UNDERCOVER, Jacquemus… La grand messe de la mode perdait d’emblée ses principaux pourvoyeurs de sneakers chaudes, de même  que certaines de ses attractions les plus notables. Peut-être toutes ces griffes avaient-elles  anticipé ce qui remettrait un autre coup sur l’événement quelques jours avant son top départ :  l’officialisation, découlant de l’injonction des autorités devant la poussée de la pandémie, d’un  tout numérique. Non, ça ne sentait pas bon.  

Et pourtant. À l’heure où la Fashion Week masculine ferme ses portes, force est de constater que  l’édition fut riche en moments forts et enseignements. Si le digital a banni l’excitation légendaire  liée à la tenue de shows physiques, il a eu le mérite de brouiller la frontière entre défilés et  présentations, donnant un intérêt égal à chacune des 68 programmations. Toutes les Maisons  s’étaient du reste préparées, et toutes ont redoublé de créativité, non plus pour jouer du format  mais montrer leurs créations. Et il y avait beaucoup à voir. Si le COVID-19 est pour la mode  source de désagréments, il s’avère être aussi une grande source d’inspiration.  

Le COVID au centre des thématiques, dans une réflexion  globale sur la normalité  

La pandémie a inspiré dans la forme, déjà. Des marques se sont ainsi réappropriées des lieux publics aujourd’hui vides ou clairsemés, comme BLUEMARBLE qui ouvre sa présentation sur un open space ou Études, dont les mannequins dansent sur de l’électro dans les couloirs de Châtelet sous les airs médusés des badauds. Vide de nos lieux, vide de nos vies quand on  assiste à la mélancolie d’un Sean Suen et de tant d’autres déambulations solitaires dans des  paysages urbains déserts. De quoi refléter l’esprit de collections tantôt vitaminées tantôt sobres, tantôt optimistes tantôt engagées, toujours très visibles. C’est plaisant, on a ressenti sur cette Fashion Week un désir de revenir à des formats se rapprochant du défilé traditionnel. Même dans les quelques expérimentations décalées, à l’instar des courts-métrages de Boramy Viguier, EgonLab ou Kidsuper, tous les créateurs ont voulu présenter les vêtements sous leur plus beau jour. Quitte à paraître austère, comme Dries van Noten avec son plan fixe sur l’ouverture d’un  édifice de pierre, le ciel en toile de fond. Une volonté de s’ancrer dans le réel donc, qu’on peut voir, avec une espérance non dissimulée, comme la prédiction qu’on pourra de nouveau s’habiller  l’automne prochain. La promesse d’un retour à la normale. « Qu’est-ce que la normalité ? », voilà justement un questionnement récurrent chez les designers. 

La mélancolie Sean Suen.

Le plus inspiré et complet dans ce registre est sans nul doute Louis Vuitton. Dans une réalisation  léchée de 15 minutes, partagée entre nature et décor intérieur marbré, entre performance  scénique avec l’appui d’un casting quatre étoiles – les artistes Saul Williams et Yasiin Bey – et  défilé, Virgil Abloh a voulu interroger les stéréotypes qui découlent des outfits. « Après les  événements de 2020, la collection propose l’idée que la société a la possibilité de créer une  ‘nouvelle normalité’ dans laquelle nous nous libérons des préjugés que nous créons autour des  personnes, des idées et de l’art », posait le créateur dans sa note d’intention. Le mélange de  styles, matières, couleurs et coupes qui en ressort fait de sa collection la plus aboutie de cette Fashion Week, de même que la plus symbolique. De fait, dans une envie qu’on voit commune à  toutes les griffes de définir cette nouvelle normalité, on a pu déceler des tendances très nettes. Entre la coupe d’un tailoring toujours prédominant et les infusions de couleurs, la mode de  l’automne prochain s’annonce à la fois réconfortante et affirmée. 

 

Un appel à relever les épaules…  

La dernière session Automne/Hiver voyait déferler le tailoring, il est donc encore majoritaire. Or, sa portée n’est plus la même. Là où il incarnait la quête d’une nouvelle élégance dans l’insouciance  d’un monde qui tournait rond, ses désirs d’alors de resserrer les coupes et de raviver un certain minimalisme, comme pour rompre définitivement avec l’ère du streetwear dont Virgil Abloh  proclamait d’ailleurs la mort, ont été remis au goût du jour. Ainsi l’homme prendra du galon la saison prochaine, et l’affichera à l’endroit approprié : l’épaule. Ce qui était jusqu’à il y a peu l’apanage des audacieux – Balenciaga ou Vetements – est aujourd’hui partagé par la majorité des Maisons. Oui, c’est le retour des épaulettes ! Grande tendance des eighties, le blazer aux épaules  renforcées nous fait plutôt penser au début de la décennie suivante, quand il côtoie le pantalon  extra-large ou du moins formel comme un short. Hed Mayner est sûrement le plus représentatif  de cette démarche, avec ce rembourrage qui exagère la carrure au point de se faire apparent. Les manteaux s’en sont aussi dotés, comme chez Louis Vuitton où Virgil Abloh a même poussé le vice aux chemises.  

 

 

Les épaules étaient tombantes de fluidité ces dernières saisons, elles se redressent. Parfois carrées, parfois obliques pour venir gonfler les trapèzes. Comme si la mode voulait nous insuffler dans ce détail qui en est le symbole, la force qu’il nous faut pour retrouver de l’allant en même temps que l’allure. À moins qu’elle n’ait anticipé nos prises de poids et pertes de masses  musculaires qu’elle viendrait là compenser ? Car oui, sur la base de ces épaules renforcées, la coupe file droite. Le tailoring a retrouvé un supplément de volume, orientation qu’on devine motivée par l’envie de conjuguer le renouveau d’élégance avec nos modes de vie en partie confinés, où le confort est central. Les costumes et trenchs enveloppent, rassurent, réconfortent.  À la force s’ajoute la confiance, octroyée par des coupes décontractées et des matières douces telle une laine duveteuse. Ces pièces (plus tout à fait) formelles ne nous veulent décidément que du bien.

Hed Mayner et Dries van Noten promettent de nous épauler.

Partout où on pose le regard, le comfy est dans l’absolu le maître mot. En cela, le tailoring  cohabite avec plus casual. “Quoi de plus douillet que le jogging ?”, semble nous dire PHIPPS qui le décline à l’envi, quand RHUDE invoque une collaboration avec McLaren pour nourrir un  sportswear chic que l’on retrouvera naturellement chez Casablanca dans une version plus graphique, et renforcé d’une association footwear avec New Balance autour d’un modèle inédit.  Le bomber revient aussi en grâce : dans la continuité de Prada en clôture de la Fashion Week milanaise, Juun.J notamment nous en a délivré des versions oversized à souhait. Il y aurait presque de quoi évoquer, dans cette affluence de pièces à la cool et d’associations d’idées, le retour discret du streetwear. Ce qu’on visualise, c’est en tout cas un come-back du rêve américain. Il semble rimer avec l’actualité, à l’heure même de la passation de pouvoir outre-Atlantique vécue comme un retour de confiance général, il se traduit dans la profusion de jeans loose délavés, de casquettes baseball, chemises western et de Santiags même chez LV. On note des accents grunge tirés tout droit des années 90 également, à l’image d’Études et de ses  mailles épaisses extra-larges, ou de Maison Mihara Yasuhiro pour ses vestes militaires rapiécées. De quoi trancher quelque peu avec le tailoring. Et amener un supplément de fun.

Casablanca et Rhude, sportswear élégant.

… et à reprendre des couleurs  

Les belles et grosses mailles chez Jil Sander et Louis Vuitton.

À l’aspect rassurant du confort qu’incarne le tailoring cocooning mixé aux pièces casual se joint  l’assurance des couleurs. Des couleurs pour donner l’envie de nous habiller, pour affronter nos  jours moroses. « Comme un antidote », a pu glisser Kim Jones. Le créateur traduit une tendance  toujours aussi prégnante à travers sa nouvelle garde-robe Dior, celle d’avoir puisé dans l’art pour  provoquer une avalanche de nuances empreintes de sensibilité. Après Shawn Stussy et plus  récemment Kenny Scharf, c’est le peintre écossais Peter Doig qu’il a choisi, sublimant par ses  paysages naturels un vestiaire racé dont on retient les ensembles camo. 

 

« Cette saison découd la tension entre la nécessité d’isolation et le désir d’être vu », résumera Hed  Mayner. Sur fond de COVID-19, la Fashion Week Homme nous projette en effet vers un automne où les vêtements seront pensés pour redonner à la fois confiance et envie, par des coupes  confortables et matières chaleureuses, ainsi que des couleurs franches et poétiques notamment  héritées de l’art. Tout cela sonne juste pour un retour à la normale en douceur, en attendant  d’assister peut-être au souhait de Virgil Abloh d’une mode plus inclusive qui briserait les codes,  ou à la prédiction de Raf Simons d’une « exubérance dangereusement explosive » faisant écho  aux années 20. « Ce n’est pas le moment du choc » comme le dit Dries van Noten, mais on est  déjà effectivement rassurés. Et impatients, surtout, de voir ces promesses de beau s’instaurer sur  les cendres de nos jours confinés.