« Streetwear is dead ». On se souvient tous de la sentence prononcée par Virgil Abloh au crépuscule de l’année 2019. Elle fut suivie d’effets immédiats sur les podiums, où les défilés FW20 sonnèrent le glas des hoodies brandés et prints imposants au profit d’un tailoring twisté plus minimal. Mais la ‘mode de rue’ respire encore à plein poumons auprès du grand public, et à la vue d’un Cactus Plant Flea Market, y compris dans ce qu’elle a de plus expressif en termes d’imprimés, couleurs et graphismes. Parce qu’ainsi se présente, éclatant comme son sourire signature, celui que les intimes nomment plus simplement CPFM. Un label énigmatique qui poursuit encore l’ascension entamée dès ses débuts en 2015, à coups de designs originaux, drops limités et collabs inattendues. Au point d’amener Virgil à revoir son verdict.
Cactus Plant Flea Market, un streetwear DIY et ludique propulsé par Pharrell
Une image aura suffi à vous convaincre que CPFM est du genre tape-à-l’oeil dans sa proposition vestimentaire, mais on ne peut en dire autant de ce qu’il dégage en tant qu’entité. Son eshop est – paradoxalement – sans relief, ses réseaux sociaux quasi-vides de posts, les interviews inexistantes. Et pour cause, la créatrice de la marque Cynthia Lu entend garder ce qu’il lui reste d’anonymat. On en sait néanmoins un bout à son sujet : après avoir été stagiaire au sein du média Complex, elle a rejoint les relations presse de Billionaire Boys Club en 2012. Là, elle fait la rencontre du fondateur de la marque, un certain Pharrell Williams. Une « connexion » s’opère le jour où ils se croisent avec les mêmes slip-on Celine, et elle devient rapidement son assistante personnelle. L’artiste multi-facettes l’encourage dans ses premières expérimentations mode, des reworks de pièces vintage chinées aux puces, allant jusqu’à l’alpaguer en ce sens lors de son discours à la remise du prix de Fashion Icon aux CFDA Awards, sous son drôle de surnom Cactus. Cynthia y ajoutera Flea Market, en référence au lieu de son inspiration créative, pour lancer CPFM en 2015.
En pleine ère streetwear et malgré une myriade de concurrents, la marque ne tardera pas à se distinguer par une esthétique bien à elle, combinaison graphique et colorée à la sauce DIY. Celle-ci repose sur des images ludiques comme dessinées à la main, que vient incarner son smiley signature, auxquelles s’ajoutent branding et formules catchy aux caractères enfantins, dans un jeu de broderies, sérigraphies ou teintures – parfois tout ça à la fois. Ces ingrédients posés sur les basiques du genre que sont des hoodies, t-shirts ou couvre-chefs, et on tient une recette inédite globalement désignée comme du « streetwear artisanal ». Un vecteur d’expression personnelle, en tout cas. « Quand je porte Cactus Plant, j’ai l’impression d’avoir de l’anti-gravité. Je n’ai pas l’impression de vivre dans la matrice de la norme sociale », exprime Pharrell au sujet des créations de sa protégée. C’est lui qui les propulsera sur le devant de la scène dès 2015, les portant en cover de magazines, lors de ses apparitions publiques ou sur ses réseaux sociaux. De quoi faire des émules dans le monde du rap, qui de Kanye à Offset en passant par Travis Scott ou A$AP Rocky, s’amourache des produits estampillés CPFM, entraînant dans son sillage un très large public.
Human Made, Nike, Travis Scott ou Kanye West… CPFM, un collaborateur de choix
À l’approche créative et l’aura de mystère, Cynthia Lu a joint un autre ingrédient du succès avec une commercialisation sans rythme défini et limitée. Se plaçant volontairement en dehors du cycle de la mode, CPFM ne verse ainsi que dans les drops sporadiques de poignées de produits, quasi-exclusivement par ses propres canaux et sans jamais prévenir. De quoi décupler les attentes, et parfaire son profil idéal de collaborateur. Puisque les rappeurs ont plébiscité Cactus, c’est très logiquement qu’ils ont fini par faire appel au label pour du merch, qu’il s’agisse de célébrations d’albums, de tournées ou de concerts. Le N.E.R.D de Pharrell a ouvert la voie, avant le duo Kid Cudi/Kanye West pour le ‘Kids See Ghosts’ en 2018, qui pose les bases de nouvelles collaborations pour les projets solo des deux artistes et encourage les A$AP Mob, Playboi Carti, Travis Scott et même The Rolling Stones (!) à s’ajouter à la liste pour se voir gratifiés à leur tour d’une avalanche de graphismes.
Cynthia Lu n’a pas son pareil pour jouer des codes de ses associés, et sa démarche décalée a également séduit les marques. Après des équipées avec des « proches », Human Made et Anti Social Social Club – qu’elle connaissait au préalable, selon les rumeurs -, vinrent les poids lourds CdG ou Stüssy, les surprenants Alpinestars ou Marc Jacobs, et finalement celui qui a toujours eu le nez creux pour repérer les gros potentiels. En 2019, Nike invite CPFM à revisiter pour la première fois une sneaker, donnant lieu à une VaporMax empreinte de son DIY enfantin, entre un swoosh à l’allure de pâte, un imposant lettrage et la signature smiley. Le carton est tel que l’expérience est reproduite, sur une Blazer « Sponge » customisable toute en textures, des Air Force 1 au branding exagéré, et finalement des Dunk Low bordées de cristaux Swarovski, dont les cotes sont aujourd’hui des plus vertigineuses. Deux capsules apparel sont également sorties, la dernière, très récente, ayant vu CPFM jouer sur l’héritage Nike en apposant ses illustrations sur un polo de rugby, maillot de hockey, jersey running ou encore pantalon motorsport. Sold out immédiat, comme à chaque fois.
Les produits de Cactus continuent donc de s’arracher. Six années après sa création, et malgré une mode qui tend à s’assagir graphiquement et ce même sur le créneau du streewear, les designs colorés de Cynthia Lu tracent leur propre route, tandis que la créatrice étend désormais son horizon à des pièces plus travaillées. La preuve que le streetwear a encore le vent en poupe. Il trouverait même dans CPFM sa continuité sur le long terme, tant pour la proposition créative que le mode de fonctionnement dixit… Virgil Abloh. « J’ai déclaré que le streetwear allait mourir, et je crois fermement que Cynthia est un exemple de son avenir. C’est une artiste pure, ses créations parlent d’elles-mêmes et n’ont pas besoin d’être promues. Je pense qu’elle est le prototype du prochain épicentre d’idées », a assuré l’apôtre repenti du streetwear, dans ce qu’on pourrait voir symboliquement comme un passage de témoin. Car avant d’incarner le futur, CPFM représente déjà le présent. Avec son éternel sourire, candidement.