Novembre 9, 2021

Guest List : Interview avec Ol'Kainry

Cet article fait partie 8 de 15 la série: Guest List

Il y a 20 ans, Ol’Kainry sortait son premier album, Au delà des apparences, le 9 novembre 2001, quelques mois après son EP En Attendant Âgé seulement de 20 ans à l’époque, Le Boug Dyf nous livrait un classique intemporel teinté de passion, d’expériences humaines profondes, d’egotrip et de vulnérabilité. Le tout, parsemé de fortes inspirations américaines et françaises, avec des références comme JAY-Z ou encore son futur binôme Dany Dan des Sages Poètes de la Rue.

Ol’Kainry et son premier album en mains, Au delà des apparences (2001) – Crédit photo : @the_saga_continuzes sur Instagram

Grâce au duo de choc de Paroles Véritables Podcast, j’ai eu l’opportunité de m’entretenir avec le plus kainry des rappeurs français (c’est moi qui le dis) sur ses débuts dans le Game, son premier album, le 91 et ses projets à venir !

Herbby : Je t’ai découvert au début des 2000s et la première chose que je me suis dit est : “Son blaze est trop lourd” ! D’où te vient le nom Ol’Kainry ?

Ol’Kainry : Dès mes 13, 14 ans, j’étais trop dans les vibes américaines, les bails de Menace II Society etc. Les gens aimaient trop m’appeler “Oh l’Américain” ou me dire “Oh t’aimes trop faire l’Américain” donc j’ai gardé ce truc. Quand on a monté notre premier groupe de Rap, il me fallait un pseudo et j’ai choisi Ol’Kainry.

Ol'Kainry StockX

Au delà des apparences (2001) de Ol’Kainry – Crédit photo : @the_saga_continuzes sur Instagram

H : Ton premier album Au delà des apparences est sorti il y a 20 ans, le 9 novembre 2001. J’aimerais qu’on revienne sur des éléments du projet qui m’ont marqué, à commencer par la cover. Comment l’as-tu choisie ?

O : Déjà, le flow était très inspiré des covers des albums de JAY-Z, The Dynasty: Roc La Familia  (2000) et The Blueprint (2001). Le peau de pêche était très recherché à l’époque, surtout le FILA de Nas que je porte sur la cover ! (rires) Je l’avais hérité de mon cousin Maxwell, il l’avait trouvé dans un coin reculé de New York. Après, j’aimais beaucoup cette Presto parce qu’elle était toute blanche, en cuir et je l’avais eue à New York aussi. À l’époque, tu cherchais et voulais porter des pièces introuvables.

Ol’Kainry, plein de nostalgie – Crédit photo : @the_saga_continuzes sur Instagram

H : Mon morceau préféré de l’album est Mon adrénaline, dans lequel tu partages ton amour pour ton public et tes proches. Tu débutes le second couplet par “J’ai commencé en ’95 à l’âge de 15”. Qu’est-ce qui t’as poussé à rapper en 1995 ? Te souviens-tu de ton premier texte ?

O : Quand t’es né en 1980, tu n’as pas grandi avec le Rap. Mais j’ai toujours kiffé la musique, celle que mes parents écoutaient, la variété française… J’ai découvert le Rap grâce à Naughty by Nature, LL Cool J, Onyx, Black Sheep, les premiers Yo! MTV Raps. Mais c’était que des artistes américains. En Rap français, j’entendais rien de ouf à l’époque jusqu’à la vague de 1993-94 avec La Cliqua, Les Sages Poètes de la Rue etc. C’est vraiment cette école qui m’a mis d’accord. J’étais tellement bousillé du premier album des Sages Po’ et à force de rapper les textes de Dany Dan, j’ai eu envie d’écrire les miens. C’est pourquoi au début, ce que je faisais ressemblait beaucoup à D. Dany.

Dans le 91, on n’avait pas d’anciens emblématiques. Quand on s’est mis à rapper avec un de mes bougs, on était des ovnis. Les gens nous disaient : “Vous croyez qu’vous allez faire des clips ou quoi ? D’après vous, vous allez passer à la télé…” (rires) Nous, on a pas lâché, on a créé notre mouvement et le plus excitant était la découverte. On avait 15, 16 ans, on allait à Évry, dans les fêtes de quartier, on faisait des freestyles et on était reconnu dans la ville car on était ceux qui prenaient le mic. Puis tu vois que les gens commences à t’apprécier parce que tu leur donnes de la bonne vibe.

Par contre, je ne me souviens pas du tout de mon premier texte… Il faudrait que je retrouve mon book of rhymes ! (S/O to Nas) Mais c’était egotrip.

Décryptage de Au delà des apparences (2001) avec Ol’Kainry – Crédit photo : @the_saga_continuzes sur Instagram

H : Tout au long de ce premier album, tu nous plonges dans ton enfance de manière candide et sincère, avec des sons comme Frédéric (Enfant du divorce) ou encore Milieu carcéral. À l’époque, avais-tu des appréhensions, vis-à-vis de tes proches et/ou du public, avant de sortir ces morceaux dans lesquels tu es totalement vulnérable ?

O : Pas du tout. J’ai écouté plein d’albums avant de faire le mien et ce qui m’a toujours fait vibrer dans un album est le fait de voyager à travers différentes humeurs. C’était important pour moi d’évoquer ma force, ma fragilité, et la personne qui écoute l’album de la piste 1 à 16 voyage entre plusieurs couleurs et plusieurs saveurs. Je n’ai jamais eu de gêne à ce niveau-là parce que j’ai kiffé écouter les albums des artistes qui l’ont fait avant moi. À cette époque, je me butais à Kery James, je trouvais qu’il était deep et c’était fort. À quoi bon rapper si ce n’est pas un exutoire pour moi ? C’est pas juste de la flambe, il faut que ça sorte des tripes. C’est ça la vérité, tu vois.

 

H : Un des messages forts du projet est l’unité, qui est d’ailleurs le nom du track 6 et que tu résumes parfaitement à la fin du son : “C’est pour te dire frère, soit on s’sert les coudes et on avance / Soit on continue comme ça et c’est perdu d’avance”. Pourquoi était-ce important pour toi de promouvoir cette notion d’unité dès ton premier album ?

O : Parce que l’album est sorti à une période où Évry était en train de brûler. Aucun quartier était en paix, c’était la guerre partout. En tant qu’artiste, je ne pouvais pas me permettre de jeter de l’huile sur le feu. Des gens ont perdu la vie, d’autres ont eu des grosses peines etc donc je me devais d’envoyer un message d’espoir, de paix, de positivité.

Un aperçu de la discographie d’Ol’Kainry – Crédit photo : @the_saga_continuzes sur Instagram

H : Dans la continuité de la question précédente, tu as collaboré avec pas mal d’artistes sur ce projet dont Jango Jack, Buckshot de Black Moon, Paul Dominique, Lino et des producteurs comme Sulee B. Wax, Maleko ou encore Ajevi. Quel a été ton process pour choisir tes prods et tes feats ?

O : Je suis très difficile en prod parce que les prods me dirigent. C’est au feeling, je ne sais pas faire à la commande. J’entends la prod, elle me transcende et toutes les idées me viennent : le refrain, le flow… comme quand Kanye fait écouter des prods à JAY-Z dans le documentaire Fade to Black ! (rires) Les Maleko, Sulee B. Wax étaient les seuls à avoir des bangers, à l’époque tout le monde était en mode sample de musique classique comme Mobb Deep. Niveau feat, j’ai fait appel aux artistes qui avaient de la lumière et qui étaient dans mon délire : Lino, Busta Flex, Django et sa voix à la Isley Brothers…

 

H : Pour revenir à Mon adrénaline, tu balances la phase suivante : “Le respect qu’tu m’portes, j’te l’rembourse en qualité : bataille, travail, fournis d’la street réalité”. Je trouve qu’elle résume parfaitement ce que tu nous as donné à travers Au delà des apparences. Aujourd’hui, quelle est ton adrénaline ?

O : J’ai toujours la même adrénaline mais à une plus basse échelle parce que je n’ai plus envie d’être une rockstar comme je voulais l’être à 20 ans. Aujourd’hui, je continue de fournir pour celles et ceux qui kiffent depuis 20 piges. Même si je suis moins productif, je m’applique pour eux.

H : On enchaîne avec d’autres moments forts de ta vie et de ta carrière. Tu viens du 91, tu le rappelles fièrement dans tes lyrics. Que représente le 91 pour toi ?

O : Le 91, c’est mon Hood. En plus, comme je disais avant, on n’a pas eu d’anciens, de références dans le Rap à l’époque. Quand on est rentré dans le Game et qu’on découvrait les freestyles à la radio avec plein d’artistes, ils ne dédicaçaient jamais le 91. Il y a toute une génération de bougs qui sont rentrés dans le Rap en étant frustrés de ne pas être sur la carte. Quand t’écoutes des artistes comme Mobb Deep qui balancent des “41st Side, QB”, tu veux aussi mettre ton fief sur la carte ! Au final, c’est devenu une revanche et quand on a fait notre premier freestyle sur 88.2, on balançait des “91” à tout moment, on a abusé du bail ! (rires) Aujourd’hui, ça me fait plaisir de voir tous les artistes du 91 sur le devant de la scène Rap français. C’est incroyable et même magnifique.

Interview avec Ol’Kainry – Crédit photo : @the_saga_continuzes sur Instagram

H : En 2004, tu sors ton deuxième album, Les Chemins de la Dignité avec le fameux son De Park Hill à 91 Pise featuring Raekwon The Chef du Wu-Tang ! Comment s’est faîte la connexion ? Raconte-nous un peu l’élaboration de ce classique. 

O : On voulait un feat américain et on a trouvé un contact qui nous proposait 2 artistes à tarif raisonnable : Obie Trice ou Raekwon. On a insisté parce qu’on ne voulait pas un feat où on envoie juste les bandes. On voulait un package où on débarque aux US, on enregistre le son en studio, on fait le clip sur place et on revient avec un truc complet. Du coup, on a validé le deal avec Raekwon, il nous a invité dans son propre studio à Park Hill, Staten Island, il a accepté qu’on prenne des images durant la session pour faire un montage avec des images de New York et réaliser le clip. La combinaison était riche en expérience. On s’est bien entendu, on a bien discuté, on a élaboré une petite tournée de 5, 6 dates quand il est venu en Europe dont un concert à l’Élysée Montmartre, à Paris. C’était une dinguerie !

 

H : En 2005, Dany Dan et toi balancez votre premier album collaboratif éponyme, avant de sortir la Saison 2 en 2014. Selon nos gars de Paroles Véritables Podcast, vous êtes “le meilleur duo qui n’est pas un groupe”. Si tu devais vous définir à travers un binôme connu, qui seriez-vous ? Pourquoi ?

O : J’aurais dû étudier la question… Parce qu’avec Dany, c’est particulier. C’est une compétition saine, tu vois. On trouve un son, le premier qui entre dans la cabine envoie le feu et ça part en “ah non padig, je dois changer des trucs dans mon texte là, t’as trop envoyé !” ou ça reporte des sessions en mode “Gangsta Dyf t’es pas gentil, je reviens demain” ! (rires) En vrai, on est 2 Wolverines : on s’amuse à se tirer dessus mais on se régénère aussitôt.

D’ailleurs, je suis vraiment content d’avoir réussi ces projets là. C’est pas simple de trouver quelqu’un qui a ce même état d’esprit Hip-Hop collaboratif. Avant tout, le Rap c’est du partage et c’est ce qui fait sa richesse.

Album Saison 2 (2014) d’Ol’Kainry et Dany Dan – Crédit photo : @the_saga_continuzes sur Instagram

H : De manière générale, tu parviens constamment à sortir des hymnes comme Jamais, Au Max, Champagnons, Bangala, Quel baye… Quelle est ta recette pour taper dans le mille en permanence ? 

O : La spontanéité et le fait d’être fan des gros bangers comme ceux de G-Unit, The Game… donc forcément, je les cherche sans les chercher. En plus, on a notre propre slang que j’ai envie de promouvoir donc je l’inclus dans mes vibes et mes morceaux.

H : Depuis 2018, tu enchaînes les projets avec des covers inspirées par ta passion pour les Mangas dont le dernier Épisode 1 – Nouvelle ère. Que peut-on attendre d’Ol’Kainry dans les mois à venir ?

O :  Je viens de sortir l’Épisode 2 – Rezistan qui regroupe 8 titres et l’épisode 3 sera conceptuel parce qu’il faut que je m’amuse !